tiré de:
http://www.aikidojournal.eu/Entretiens/George-Batier_Bernard/
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… j’ai rencontré
Me Nakazono qui
voyageait en Europe, qui y faisait des tournées, en 57.
Quel a été votre parcours en aïkido ?
J’ai commencé par le judo vers 1956 et j’ai rencontré Me
Nakazono qui voyageait en Europe, qui y faisait des tournées, en
57. J’ai repris sérieusement l’aïkido à mon retour de l’armée,
en 1960, avec Noro. A l’époque en Europe il y avait
Tada et
Tamura qui est arrivé par la suite. J’ai continué, j’ai eu mon
premier dan en 65, le deuxième en 70 : voilà pour la pratique de
l’aïkido. Entre autres choses j’ai fait du
iaï, du jodo, un peu
de karaté, j’ai goûté à différentes choses, au
kendo aussi.
Je n’ai pas affiché mes diplômes de grades dan, mais [mon
diplôme de fuku shidoin du Hombu Dojo], qui porte le numéro 19
et est signé par Morihei Ueshiba, oui. A l’époque, avant que le
diplôme d’Etat soit reconnu, on avait des diplômes de
professeur. Il y avait des diplômes de fuku shidoin, et de shido
in. Ces diplômes ont été ensuite validés par équivalence avec
les diplômes d’Etat. On n’était qu’une petite équipe à l’époque.
En quelle année ?
Le mien date de 1969, l’année de la mort de O Sensei. Il l’a
signé juste avant sa mort.
L’aïkido… cela demande des années de travail, des années de
recherche, et beaucoup d’interrogations. Et ainsi on arrive à
des résultats qui font qu’à soixante-cinq ans et des poussières
on se dit : « Si je savais tout ce que je sais en ayant vingt
ans, ce serait formidable ! »
Mon collègue qui s’occupe de l’édition française d’Aïkidojournal,
et qui a suivit plusieurs de vos stages, m’a dit que vous vous
intéressiez au côté énergétique de la pratique…
Oui, je définirais l’aïkido comme étant une alchimie du
changement. Si on traduit le mot aïkido, si on traduit les
kanji, à partir du chinois, par exemple… Le mot « aï » est
composé d’abord de deux traits, ce qui veut dire une idée de
réunion sous un même toit. Puis il y a un trait horizontal, qui
veut dire «un», c’est à dire l’unité. Enfin il y a la bouche. Ce
mot, on le retrouve sur les contrats, par exemple entre la Chine
et la France, entre sociétés chinoises et sociétés françaises :
cela veut dire que les deux parties se mettent ensemble,
d’accord ensemble. Et si l’on traduit le mot «aï», il veut
dire:«ensemble, parler d’une seule voix, à l’unisson». Il n’y a
pas de séparation, c’est ensemble. Cet « ensemble », il peut
être à la fois avec le monde extérieur et avec le monde
intérieur. C’est à dire être sa propre union personnelle entre
sa pensée, son action et son énergie et l’harmonie avec les
autres. En fait, il faut avoir les deux, parce que si vous êtes
déséquilibré chez vous, il est difficile d’être bien avec les
autres. Si vous êtes bien chez vous, mais si vous êtes tout seul
et que n’avez pas de contact avec les autres, c’est pareil. Ça
c’est la première chose.
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Ensuite le Qi(chi), en chinois, ou le ki, en japonais, c’est à
la fois l’immatérialité de la vapeur qui sort du couvercle, et
le riz, qui est de la matière. On peut saisir un kilo de riz,
mais on ne peut pas saisir un kilo de vapeur. Par contre si vous
mettez la main dans la vapeur, c’est douloureux.
Enfin, le mot «dao». C’est une notion un peu magique, qui est
associée au mot «marche». C’est le chaman qui commence la marche
par un pas à gauche, un pas à droite, un pas à gauche : C’est le
commencement des dix mille pas. L’idée chamanique, c’est le
chaman qui marche pour danser avec le monde des dieux, ou plutôt
le monde invisible. C’est donc le chemin qui nous mène afin de
s’unir avec le chi. En chinois, le chi c’est le souffle. On le
traduit aussi par énergie, mais énergie n’est pas le vrai mot.
Donc l’aïkido, c’est le chemin de s’unir avec les souffles, les
souffles du Cosmos. Donc il y a une notion d’union intérieure et
d’union extérieure. Et d’union des deux.
L’aïkido ce n’est pas de la self-défense. Cela, c’est pour les
ignorants. Même « art martial », cela a un côté limité. L’aïkido
est plus grand que ça. La voie qu’a fondée Me Ueshiba, c’est
plus grand que ça.
Quand on lit les textes qui ont été traduits et ce que des gens
comme John Stevens ont écrit sur Me Ueshiba, on apprend des
choses intéressantes sur l’aïkido de Me Ueshiba. Et si on
regarde sa propre vie, il a commencé par faire des arts martiaux
en même temps qu’il travaillait le Shingon Mikkyo. Le Shingon
Mikkyo est une école ésotérique japonaise qui est basée sur une
forme tantrique de travail sur le rituel du goma, on travaille
sur le feu, sur les moudras. Ensuite il a pratiqué le
Shintoïsme. Mais ce n’était pas le Shintoïsme que l’on voit dans
les sanctuaires. Ce qu’il a pratiqué, c’est avec le kotodama,
les sons, le misogi sous les chutes d’eau. Ce qu’il a fait,
c’est le Shinto chamanique et non le Shinto que l’on pourrait
appeler scolastique ou académique. Le travail de Me Ueshiba
c’était son dialogue avec les dieux, avec les kami. Il y a donc
aussi une notion de transcendance vers un invisible. Voilà mon
point de vue sur l’aïkido.
Je parle d’alchimie de la transformation, parce que dans la
pratique de l’aïkido vous allez vous transformer physiquement,
techniquement, mentalement, énergétiquement, socialement et
spirituellement. Donc il y a une alchimie qui touche l’être
humain dans toute son entièreté. Maintenant, il faut trouver les
clés…
Et comment trouver ?
Je vais emprunter une pensée bouddhiste : la vision juste de ce
que l’on voit. Quand un maître d’un certain niveau, montre
quelque chose, il faut savoir ce qu’il a montré. Il faut décoder
ce qui est visible et ce qui est invisible. Cela implique une
certaine connaissance. Cette vision juste doit entrer dans une
compréhension juste de ma part, avec mon savoir. Il me faut donc
éliminer les scories… Et après la compréhension juste, il va y
avoir l’action juste : comment je vais pouvoir reproduire en
intégrant toute la filière de la transmission. Voilà le
principe.
C’est pour cela que dans la tradition japonaise, et d’autres
aussi, il y a le metsuke geiko : s’exercer en regardant et
apercevoir. C’est pour cela qu’il y avait des élèves qui se
cachaient pour observer le professeur. Le professeur le savait,
donc il montrait d’une certaine manière, pour que l’élève
comprenne.
Il est visible sur certains des films de O Sensei que celui-ci
utilisait quelque chose qui ressemble fort au fajin. Mon
collègue de la rédaction rapporte avoir été projeté par
Kobayashi de cette façon... Mais, à ma connaissance, aucun des
autres élèves du fondateur ne mettent en œuvre quelque chose se
rapprochant du fajin. Pourquoi ? O Sensei ne leur a pas appris ?
Ils n’ont rien compris ?
Il faut dire que Me Ueshiba était quand même un homme
exceptionnel. Des Me Ueshiba, on n’en trouve pas tous les quinze
jours dans n’importe quelle partie du monde. C’était un maître
exceptionnel, et ce que l’on a vu, c’est l’aboutissement de son
ascèse. Il y a des maîtres qui arrivent à un niveau semblable,
mais ils ne montrent pas trop… Parce que le piège c’est que les
gens veulent imiter la finalité sans être passé par le processus
qui amène à cette finalité.
Par exemple dans le chi gong ont voit des maîtres qui
travaillent à distance en projetant leur énergie. Alors les gens
vont penser qu’ils vont pouvoir projeter leur énergie. Mais les
gens ne travaillent pas six heures par jour et ça depuis des
années! Ce que l’on voit c’est l’aboutissement d’une certaine
qualité, mais on ne voit pas ce qui a précédé cet aboutissement.
Je pense que Tamura Sensei peut faire ça, mais il ne le montre
pas trop. Il le montre sans le montrer, parce que dans ses
techniques il est toujours décontracté. Et s’il est décontracté,
cela veut dire qu’il y a autre chose qui passe.
Qu’appelle-t-on un maître ? Si c’est un professeur que l’on
appelle « Maître » parce qu’il est Japonais, pourquoi pas… Mais
ce n’est pas vraiment un maître. Un vrai maître, c’est celui qui
a dépassé un certain niveau, comme O Sensei en aïkido. Il y a en
quelques uns qui se rapprochent de ça, mais seulement sur la fin
de leur vie. Il ne s’en rapprochent pas à vingt-cinq ans.
Vous avez travaillé avec de nombreux shihan, élèves directs du
fondateur. Quelles similarités et quelles différences avez-vous
pu ressentir dans leur approche, leur pratique, leur
enseignement ?
Le point commun, c'est la tradition qu'ils représentaient, mais
avec des différences d'approche et de personnalité.
Vous avez commencé avec Me Noro…
Avec Me Nakazono, Noro, Tada, Asaï… je suis allé faire un tour
au Japon en 1970. J’ai visité beaucoup de choses, j’ai vu
beaucoup de choses. Mais ce qui compte c’est le travail, le
travail intelligent, le travail qui doit construire quelque
chose.
Prenons le tir, par exemple. Je prends un revolver et je prends
l’interrupteur pour cible, mais je tire sur le radiateur.
Pourquoi ? Parce que j’ai manqué de discernement. Je n’ai pas eu
la vision juste. Je me suis « shooté » avec l’odeur de la
poudre. Cela donne du plaisir, cela satisfait mes
neurotransmetteurs. Mais je n’ai été au centre de la cible parce
que je n’ai pas eu le discernement de déterminer où la cible se
trouvait réellement. Le travail c’est comme cela. Il faut que le
travail produise des fruits à cour, moyen ou long terme. Si vous
travaillez pendant des années et qu’il n’y a pas d’évolution,
c’est que vous vous êtes planté quelque part.
Ce qui est important c’est de faire les choses sans y mettre de
l’énergie ou de la force, parce que en vieillissant c’est
différent… A vingt ans vous avez un potentiel de force, à
quarante ans vous en avez un autre, à soixante-cinq,
soixante-dix ans… et est-ce que voulez arrêter de faire de
l’aïkido, alors que c’est une alchimie de vie ? Non. J’ai écrit
un article dans Seseragi d’octobre 2005 dans lequel je parlais
de la pratique en fonction des âges de la vie. A quinze ans on
pratique d’une certaine manière, à vingt ans d’une autre, à
quarante ans et à soixante ans aussi. Cela revient à ce j’ai dit
plus haut : les maîtres ne sont pas maîtres à vingt-ans, à part
des hommes exceptionnels… ….
(…)
Ce que je vous ai expliqué tout à l’heure : d’abord, [il faut]
ne pas être en opposition. On utilise le mot « aï » : s’unir
avec l’autre, mais il faut que je sois uni moi-même au fond de
moi. Si j’ai mon ego qui me dit : « Ce mec, il faut que je me le
balance ! » c’est fini. J’ai encore dix-mille ans de travail. Il
y a des états d’être en même temps qu’il y a des niveaux de
technique. Et en fait, les uns vont avec les autres. Si vous
prenez quelqu’un qui doit faire une performance, un tireur à
l’arc par exemple, s’il est contracté parce qu’il se dit : « Je
veux avoir la cible, je veux avoir la cible », il est sûr qu’il
va mettre la flèche à côté. S’il est dans la paix, il lâche la
flèche dans la cible. C’est ça notre pratique : il faut que
notre corps soit disponible. Si je dois mette mon pied ici, il
ne doit pas se mettre là. Donc il faut habituer mon pied à aller
[où je le veux]. C’est moi le patron, quelque part. Un patron
gentil, je ne suis pas tyrannique…
Prenons trois professeurs :
Tamura Sensei, fait une préparation de détente, d’étirements de
méridiens, du ba duan jin, etc. Me Chiba, lui il est devenu Zen.
Me Tada, lui il fait Ikkukaï, des techniques un peu tantriques.
Chacun a quelque chose, un outil. Me Ueshiba suivait le Shinto,
mais il n’y a pas de Shinto en France. Il n’y a personne qui
nous enseigne le Shinto, qui nous enseigne à méditer sous les
chutes d’eau. Donc cette dimension, elle n’existe pas. Donc la
seule chose que l’on puisse faire c’est de trouver des arts qui
soit proches et accessibles. Donc Tamura Sensei nous montre des
exercices chinois de santé, ba duan jin, etc. pour leur effets
thérapeutiques, mais aussi pour leur effets qui font travailler
l’esprit. Chiba, c’est le Boudhisme Zen, pour lui c’est se
mettre en méditation et faire le vide : ça passe, cela ne
s’arrête pas. Il faut travailler sur soi, d’une manière ou d’une
autre, c’est le secret. L’aïkido c’est un peu comme des marches
d’escalier:quand vous travaillez sur vous, votre aïkido
augmente, et quand votre aïkido augmente, vous retravaillez sur
vous. Comme un escalier, c’est ce qui fait que ça monte.
Cette énergie que vous avez ressentie dans vos mains, vous
pouvez l’envoyer à distance.
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